• Dimanche 1er décembre 2019, 11h08, km38 du Marathon de Valence. Je suis allongé sur le trottoir, assisté d’une médecin de la Croix-Rouge; je ne peux pas bouger pendant 40 minutes.
  • Dimanche 5 décembre 2021, 11h27’50, je franchis la ligne d’arrivée du marathon de Valence en 2h57’50, mon premier sub3.

2 ans séparent ces 2 marathons, ces 2 aventures, ces 2 émotions opposées : tristesse et joie, déception et réalisation de soi.

Dans cet article, je partage ce qui a motivé un homme d’âge moyen, de condition sportive ordinaire, à s’investir dans l’une et l’autre aventure, et quelles leçons j’en retire pour le sport, pour le travail et pour la vie.

  • Temps de lecture : 10-12 minutes environ.
  • Chapitres :
    • Introduction
    • Développement athlétique
    • Allongé dans le caniveau
    • Les leçons d’un échec
    • La course km à km
    • Conclusions et enseignements

Et je pars d’une prémisse, à la question peut-être d’une partie de mes lecteurs :

  • « Mais quelle importance : courir ? »
  • La réponse est bien sûr: “Aucune !”

Il y a des choses bien plus importantes que courir dans la vie : la santé, l’éducation, le développement professionnel, la stabilité relationnelle et émotionnelle. La course à pied est un passe-temps, et nous, les coureurs, croyons aussi que l’être humain est né pour courir : Born to run ! Et précisément, courir nous apporte un équilibre structurant pour le reste de notre vie : notre santé, notre moral, notre ouverture aux autres. La course abordée comme une métaphore de la vie, de même que d’autres hobbies : le chant, le golf, l’aide sociale.

Si la course à pied vous gave ou si vous ne comprenez pas comment on peut même prendre le temps de retirer des enseignements d’une course, je vous invite à terminer ici votre lecture.

 

Développement athlétique

J’ai commencé à courir en club en septembre 2012, et je faisais alors partie du sous-groupe des « moins de 40», ces camarades qui aspiraient à courir un jour un 10 km en moins de 40 minutes (Ça me prendrait 7 ans à y parvenir). En 2013, j’ai couru 2 marathons en 3h27 et 3h31. En 2016, j’ai réduit ce chrono de 14 minutes : en 3h13. Ce RP (Record personnel) était une consécration pour moi et m’a ouvert l’appétit. Et si je réduisais de nouveau de 14 minutes, je passerais sous les 3h ! En 2019, après 7 ans passés au club d’athlétisme, à la rentrée de septembre, je me trouve dans une forme inhabituelle, surprenante même. Sur la piste d’athlétisme, les mardis à 20h, mes collègues observent que je suis plus rapide. Je change de sous-groupe. Et dans la 3ème mi-temps, dans notre resto habituel, le thème « mais qu’est-il arrivé à Benoit ? » devient LE sujet de discussion et ouvre toutes les élucubrations sur cette subite forme. Comme dans un jeu vidéo, il semble que j’ai soudainement déverrouillé le niveau supérieur. Un semi-marathon confirme cette forme (je passe de 1h31 à 1h23 sur cette distance ; 8% plus rapide). Et j’arrive donc à Valence le 1er décembre 2019 avec un rêve : décrocher la barre des moins de 3 heures.

 

Allongé dans le caniveau

Alors que je suis dans les temps de passage, mais probablement aussi en surrégime, je commence à zigzaguer, je n’ai brusquement plus de jus, plus d’essence dans le réservoir. A sec. Je m’appuie contre une barrière, je m’allonge sur le trottoir. Mon rêve vient de s’évanouir. Une médecin de la Croix Rouge, attentionnée, Maria José, me prend en charge et me propose: « Tu peux pleurer si tu veux, Benoit ! » Je n’ai pas envie de pleurer et j’accepte une réalité : le monstre du marathon m’a battu. Je n’ai pas bien mesuré les temps, l’hydratation et l’alimentation : hypoglycémie. Ma femme et mon fils aîné qui m’avaient encouragé 1 km plus tôt (et m’avaient suggéré de ralentir), ne me voyant pas passer au km 40 sur la APP, se mettent à courir et me découvrent, allongé par terre, près d’une ambulance. Pas exactement l’image qu’un père de famille veut transmettre à son clan ! Et ces messages whatsapp entre frères ; « Papa est au sol, il ne bouge pas… maintenant il va en ambulance ! » Je récupérerai finalement après que l’ambulance m’eut amené à l’hôpital militaire en zone d’arrivée.  Et 2 heures plus tard, nous pourrions participer à la traditionnelle paella avec les amis du club et les familles. Et 3 semaines plus tard, je confirmerais ma forme en explosant mon temps au 10km (Aranjuez), réduisant mon record de 39:15 à 37:56.

J’étais en forme, mais « quelque chose » n’avait pas fonctionné. Avec la frayeur à ma famille avec mon évanouissement, le soir, en voiture, sur le chemin du retour, je pense qu’ils vont me dire « maintenait tu arêtes tes bêtises ! ». Au lieu de cela, dans une réaction surprenante, dont je mettrais du temps à mesurer la portée, ma femme me dit :« Comme nous n’avions pas le droit de monter dans l’ambulance pour t’accompagner à l’hôpital à la ligne d’arrivée, nous avons dû te rejoindre en courant, comme les autres coureurs, du km38 au km42. J’ai vraiment adoré l’ambiance. Si jamais tu te réinscris, je t’accompagne. »

Après quelques jours de « digestion », je reçois un mail de l’organisation du marathon de Valence, d’une exquise teneur relationnelle, l’essence même du marketing direct, de la segmentation d’une base de données. Cet email, que je mentionnerais des dizaines de fois en conférences et formations, est intitulé « Finissez ce que vous avez commencé. Run the Valencia Marathon 2020 », poursuit ainsi : « Nous savons comment tu te sens. On te propose 50% de remise pour ressayer. » Je me réinscris à l’édition de décembre 2020 de ce même marathon… et ma femme, qui n’a pourtant pas de culture sportive régulière jusqu’à présent, s’inscrit également.

Le 10 mars 2020, un virus inconnu, qui vient de Chine, et ne passerait jamais l’Italie, … nous confine ; il nous enferme. Et s’ouvre une période de tristesse, de douleur et de résilience : le Covid. Les entrepreneurs, nous sommes touchés, dans notre subsistance même avec un défi sans précédent de devoir se réinventer. Et, pour les « animaux sociaux », comme moi et mes collègues formateurs-coachs, le défi de donner des formations, des sessions de coaching et des conférences, et de recueillir des 10/10 en satisfaction client, des NPS de 100%… par Zoom. Les courses sont annulées, on grossit, on s’inquiète pour la santé de nos parents… et on valorise les choses simples, qui nous sont désormais interdites : se retrouver entre amis et en famille, profiter de la nature, s’embrasser, chanter en groupe… courir. L’inscription est reportée à 2021.

« Coïncidence », notre club a été expulsé de la piste d’athlétisme par la mairie; nous nous entrainons pendant 6 mois, sur un terrain vague, mal éclairé, au sol irrégulier, sans douches. Je suis le premier à m’inscrire à une course officielle le 31 janvier 2021. Sur la ligne de départ, avec la musique dans les hauts parleurs, le plaisir de se retrouver après tant de mois de tristesse, je suis en larmes. Et à l’été, il est temps de réfléchir sérieusement à un plan pour réussir cette fois l’assaut à 2h59. On dit que les Américains valorisent mieux « l’échec » que les Européens. En tous cas, aspirer à décrocher le graal, implique d’apprendre de ses erreurs, de décider si le marathon 2019 était « un véritable échec » ou « une expérience porteuse d’enseignements ».

 

Les enseignements d’un « échec » :

J’entreprends donc de lister les facteurs de fragilité et d’y apporter des réponses concrètes.

– En 2019, le bus d’accès le matin n’a pas fonctionné et j’ai dû courir 2-3 km jusqu’à la ligne d’arrivée, stressé, gaspillant une énergie précieuse.

=> Ce matin du dimanche 5 décembre 2021, j’accède à la zone de départ, avec un petit footing depuis l’appartement Airbnb à seulement 10 minutes. Je suis calme et concentré. Nous sommes arrivés à Valence le vendredi soir. Nous nous sommes installés tranquillement. J’ai bien dormi, pris mon petit déjeuner et je suis allé aux toilettes.

– Il manquait « quelque chose » dans mon alimentation et mon hydratation de course qui m’a laissé sans force au km38. Et je souhaite valider un système d’alimentation basé sur les glucides et hydratant, efficace et préventif ; manger et boire avant d’en avoir besoin, sans risque d’indigestion.

=> Je le trouve avec Maurten, une combinaison de 6 prises d’hydrogels ou de bidons liquides (que me remet mon fils Arthur en course) toutes les 20 minutes dès la première heure de course.

– Je veux transformer certaines réactions de panache, de bravoure et d’exaltation en un style plus contenu basé sur la gestion, l’expérience et la constance. Le marathon n’est pas explosif mais endurant.

=> Cela implique de résister à toute tentation d’accélération, sauf, si je peux, dans le sprint final ; jamais avant. À aucun moment au cours de ces 24 heures, ma fréquence cardiaque ne dépasserait 179 PPM. Je me garde aussi de chanter (comme j’aime le faire habituellement) avec la musique sur la ligne de départ au début qui fait monter votre pouls au maximum. Pas nécessaire.

– Dans l’effort intense de résistance d’un marathon, l’oxygène alimente principalement les jambes et les bras… et moins la tête. Nous perdons en facultés intellectuelles au long de la course. Je veux éviter les calculs et les pensées excessives en course. Pour ce faire, il serait utile de pouvoir suivre quelqu’un, un lièvre en l’occurrence.

=> J’établis une stratégie de course, avec mon coach, pour suivre le lièvre de moins de 3h au moins jusqu’au km37. Je ne regarderai ma montre qu’une fois par kilomètre (et non 3). Je peux ainsi concentrer mes réflexions sur la gestion de mes gels et de mon hydratation, et des incidences de courses.

– Je veux savoir exactement mes temps de passage vs les objectifs intermédiaires.

=> J’ai écrit sur tout mon avant-bras, au stylo Bic, les objectifs partiels de 2h59 (km 25, 30, 35, 40). La méthode, copiée d’une amie du club, n’est pas très moderne, mais très efficace.

– La casquette accumule la chaleur sur la tête et fait transpirer la tête. Avec ma peau de roux, j’ai cru que la casquette m’était nécessaire. Je cherche à évacuer la chaleur au maximum.

=> Je cours donc cette édition sans casquette, mais avec un bandeau-éponge, ce qui m’évite le geste d’essuyer la sueur avec mon bras. Et bien que je me sois entraîné sans lunettes, je décide finalement de les utiliser, pour éviter des poussières dans les yeux avec le vent.

– Le sentiment de vulnérabilité, de se sentir dominé par quelque chose de plus fort, déstabilise beaucoup. Que faire pour éviter le fameux mur du km32 ou les assauts du km38?

=>  Comment se sentir en contrôle au km37, et même pouvoir accélérer ? C’est bien sûr la question clé. La réponse se trouve dans le gainage de la ceinture abdominale, centre de gravité musculaire. Et cet entrainement quotidien, silencieux, parfois ingrat, paie. Au km37, je remercie intérieurement ma femme qui, rigoureusement, tous les matins pendant 4 mois, au réveil, pose son tapis de sol… et m’invite à sa session de yoga, d’étirements et de gainage (core). Quand je sens un « coup de moins bien » en course, je redresse ma posture, je relève le bassin (je ne cède pas à la tentation de m’affaisser), je regarde au loin, et je recherche un style fluide et ample, sans résistance, comme si je flottais sur le sol (avec la pointe du pied donc, jamais le talon). A chaque fois que je l’ai cherché pour me relancer, j’ai trouvé ce point… parce que j’ai fait du core tous les jours ces derniers mois et le corps répond…

– Je veux garder une certaine discrétion avec cette course. J’ai observé en 2019 que même les personnes proches, et avec les meilleures intentions du monde, ne comprennent pas pourquoi nous courons et « risquons » notre santé et pourquoi je cherche encore à m’améliorer. (Et ils ont le droit de le penser).

=> Et avec notre maitrise de Zoom, aujourd’hui, avec des enfants et un ami dans la course, nous aurions pu imaginer une couverture médiatique internationale en direct. Non. La discrétion, pour courir sans pression et même les plus proches ont le droit de consacrer leur dimanche matin à autre chose. On racontera une fois la course terminée.

Si on sait retirer les leçons d’un « échec », alors cela s’appelle… L’EXPÉRIENCE. Sans l’abandon de 2019, je n’aurais peut-être pas développé l’humilité nécessaire, le sens du détail et de la précision dans la préparation de la course. Accepter la contre-performance, la regarder dans les yeux, pour retenter, sans complexe. Et sans mon abandon, ma femme n’aurait jamais couru un marathon.

 

La course km à km

Sur la ligne de départ, à 10 minutes du top départ, je retrouve mon camarade de club Juanan, plus rapide que moi de 10-15 minutes au marathon. L’élite est déjà partie à 8h15 ; et c’est pourquoi les temps visibles sur l’horloge électronique, même à l’arrivée, marquent 15 minutes de plus. Nous discutons tranquillement. Je porte toujours un sac poubelle pour maintenir la température corporelle.

Mon seul point d’inquiétude est la prévision de vent, avec des rafales annoncées jusqu’à 35 km/h, soit plus de 2 fois ma vitesse en course. Cette caractéristique me réaffirme, le cas échéant, dans la décision de rejoindre le gros du groupe des lièvres de moins de 3h, de courir protégé derrière les autres, limitant ainsi la résistance au vent et générant une certaine aérodynamique (le drafting).

Les lièvres avec leur étendard, attendent devant le groupe, à environ 20 mètres de moi.

Au coup de pistolet, mon objectif est de me rapprocher du lièvre. Après 300m ou 500m, je regarde ma montre et je suis à 4’05 (alors que je ne dois pas descendre en dessous de 4min15 par km), sans avoir encore atteint les lièvres. Ma bouche s’est asséchée, comme en 2019. Je me demande si continuer d’essayer d’atteindre le lièvre sub3h et d’appliquer le plan, ou de lever un peu le pied. Je décide de maintenir l’effort, tout en restant en queue de peloton. Mon allure objectif sub3 est de 4min16 par km. Je passe le km1 en 4,06 et le km 2 en 3,59. J’ai atteint le lièvre mais c’est un départ beaucoup trop rapide pour la course (27 secondes trop vite en seulement 2 kilomètres). Je sais que mon coach et mes camarades de club suivent la course sur la App et me voient démarrer trop vite, avec un certain fatalisme.

 

 

Le km5 est le premier que je cours plus lent que 4’10. Au premier ravitaillement, je m’assure non seulement de me mouiller la bouche mais de boire 2 bonnes gorgées d’eau. Ça joue des coudes entre coureurs pour accéder aux bouteilles, notamment à cause des changements de direction. Un coureur qui se déporte du milieu vers un côté peut en faire trébucher un autre. Il faut être très prudent, vigilant et malin dans ces situations. Je serai témoin de 4 fortes chutes à moins de 5 mètres de moi dans ce marathon.

Au km8, je suis presque rassuré de voir un chrono en 4’21, compensant ce départ excessif, avec, déjà, ce vent de face, comme si les lièvres l’avaient anticipé. L’important c’est que je me sens bien. Je me scanne de bas en haut. Les jambes vont bien, mon rythme-cardio est bon (même si je n’ai pas cet indicateur sur ma montre) et ma tête aussi.

Dans les sections vers l’ouest, le vent souffle de face, et là j’essaye de baisser la tête pour présenter moins d’exposition au vent, raccourcir légèrement la foulée, et surtout me positionner derrière un athlète. L’une de mes passions est de naviguer en catamaran ou en planche à voile et de « rechercher » ou de « jouer » avec le vent. Dans ce cas, il s’agit de limiter la consommation d’énergie qu’on sait qu’on paiera cher au km30. Ce réglage fin signifie, par exemple, que si le vent vient de face en diagonale, je me positionne à l’oblique opposée. Un athlète dans mon dos m’en fait le reproche avec véhémence. « Putain le bleu n’arrête pas de changer de trajectoire ! ». Ce sont 3 coéquipiers du même club. Après quelques kilomètres, je décide de chercher un autre secteur dans le groupe pour faire baisser la tension.

 Au km13, je prends mon premier gel Maurten à la caféine. Je vérifie que je le digère bien. Au km18, quelle joie de voir mon fils Arthur avec le bidon prêt. Pour l’assimilation de l’organisme depuis l’estomac, bien que les gels se soient beaucoup améliorés (notamment Maurten avec les solutions d’algues), le format liquide permet une meilleure assimilation. Et je profite du luxe d’avoir un « porteur d’eau  » qui est aussi un supporter motivant. Voici le plan gel que je vais suivre à la lettre.

 

 

Je ne gaspille pas d’énergie à parler. Je ne demande juste à l’un des 2 lièvres :

– « como te llamas?

– Francesc

– Muchas gracias Francesc

-De nada hombre. »

6 mots aussi utilisées pour mesurer la confiance. Je me sens en confiant. (alors qu’en 2019, le lièvre me paraissait non fiable).

Je passe le semi en 1h29’15, exactement le temps convenu avec mon coach de club ; soit 45 secondes seulement en dessous des 1h30. Cela veut dire que, si à partir de ce moment-là, je « double », c’est-à-dire que je cours la deuxième partie au même rythme, je terminerais en 2h58’30. Et les observateurs du club le reconnaissent bien volontiers.

Je refais un scan. Certains points m’alertent l’un après l’autre : genou gauche extérieur, mollet droit extérieur, ischio-jambiers gauche. Chacun de ces points s’estompe et se dissout, mais je sens que les jambes s’alourdissent et durcissent.

Au km26, nous remontons face aux rafales de vent. J’applique la technique prévue et je passe en mode économie.

Au km 27,3 je retrouve Arthur, 16 ans, pour la deuxième bouteille et cet encouragement:

« Allez papa, tu es en train de faire un chrono de bâtard ! » Le langage poétique de la jeunesse ! Ça motive.

Ce soutien familial est d’une valeur inestimable. Et mes autres fils suivent également la course en direct, via le groupe WhatsApp et la App, en suivant leur père et leur mère relever ce défi, ensemble. Et je me souviens aussi de ce semi-marathon à Barcelone dans ma préparation, 6 semaines plus tôt, dans lequel Arthur m’a encouragé et enregistré alors que j’accompagnais Eric, qui, 2 semaines plus tard, deviendrait champion du monde de marathon, en poussant une personne en fauteuil roulant (sa maman Silvia, atteinte de sclérose en plaques) ; deux personnes formidables avec qui on avait beaucoup ri !

Dans certaines sections, des groupes de musique mettent l’ambiance. Merci beaucoup à eux. Dans d’autres marathons, j’étais très énergisé par l’atmosphère, la musique, les cris. Aujourd’hui, je suis plus concentré, « à mon affaire ». Aussi dans d’autres courses, grâce à la PNL, j’ai généré des conversations intérieures stimulantes, me transformant ainsi en animal, ou parlant avec mes grands-parents, etc…. Aujourd’hui, aucune envolée lyrique. Je veux « juste » continuer, maintenir force et rythme, dans une gestion technique de ma course. Quand je ressens un coup de moins bien, je me redresse, cherchant fluidité, aisance et légèreté dans ma foulée. (Réflexe aussi de la PNL ; « votre corps peut commander votre émotion « )

Au km32, le groupe folklorique, « les amis du mur », non sans humour, crie dans le micro, « reste collé au lièvre comme à ta chérie dans un vent d’hiver ! » C’est ça, près du lièvre! Nous entrons dans le moment de vérité : Les 10 derniers kilomètres ; le moment où les « cadavres » commencent à tomber. Je m’appuie mentalement sur toutes les courses de 10 km que j’ai courus dans ma vie depuis près de 10 ans. Cela semble une distance accessible et réalisable, comme si la course commençait… maintenant! Le fait est que le nombre d’athlètes derrière les 2 lièvres fond comme neige au soleil.

Au km 34, les jambes deviennent lourdes. Je sens les 2 mollets durs, presque des crampes. J’essaie de me détendre, de relâcher. J’ai peur que le chrono ne s’en ressente; mais non : 4’17, on s’accroche. On est en légère montée.

Au km37, à 5 kilomètres de l’arrivée, pour tenter de rester scotché au short du lièvre (« à la culotte » comme me disait, enfant, mon entraineur de foot à l’US Séné), je devance le lièvre d’une demi-épaule ; je soutiens l’effort et je le devance alors de 50 centimètres. Je ne veux pas brûler une cartouche. Je sais que ce lièvre peut m’emmener au but de 2h59. Allez, j’ai déjà pris 10 mètres d’avance, je me sens bien, sans forcer mais avec intensité, dans un effort final de 5 kilomètres. Je prends mon dernier gel. Allez! Je m’envole. Je m’échappe. Mille fois j’ai visualisé ce tronçon final, où 2 ans plus tôt, j’ai vécu cette cruelle déception de commencer à manquer d’essence, de zigzaguer et de m’arrêter. Je sens que j’aurai la force cette fois-ci, et si le lièvre venait à me rattraper, la force de le suivre. Au fond de moi, je ne veux pas que cette course se joue à quelques secondes ; J’ai promis à mon oncle Bernard, avec un record de 3h00’06, de passer sous les 3h, pour nous 2 et pour toute la famille, et de pouvoir lui offrir ces 7 secondes, même 30 ans après.

Je vois sur ma gauche le magasin Corte Inglés, et sur ma droite, le trottoir où j’étais allongé, immobile, à l’ombre et dans le froid, il y a 2 ans. Ce souvenir ne m’occupe qu’une demi-seconde. Je distingue déjà le parc du Turia, avec ses arbres, signe du kilomètre 40 et de cette foule dont je n’avais pas pu profiter et qui, en masse, soutient les coureurs. Je suis dans mon effort… et je ne lâcherai rien.  Au loin se dresse, majestueuse, la Cité des Arts, mais c’est encore à 2 kilomètres; Allez ! Vamos ! Sans le savoir, je cours mes 4 derniers kilomètres au même rythme que les 4 premiers : à 4’07. La pente d’accès des 400 mètres est déjà là. Je continue de dépasser des athlètes. Des milliers de fois je me suis visualisé sur ce dernier tronçon, ce tapis bleu, sur l’eau du sublime ensemble architecturale moderne de Santiago Calatrava. Et j’ai imaginé mille types de célébration. Dans ce cas, dans un effort soutenu, je profite du moment. Je lève simplement les bras et franchi la ligne d’arrivée.

Je me sens soulagé et apaisé, bien que la fatigue ne me permette pas de l’exprimer, très heureux et fier. Je m’étais aussi fixé comme objectif de rester vertical à tout moment, même après mon arrivée, ans avoir recours aux services médicaux. Je m’appuie quelques instants sur la barrière, puis me dirige calmement vers la zone post-arrivée. Le protocole covid implique un parcours post-arrivée relativement long. Je récupère mon poncho thermique, on parle entre coureurs, du monde entier : un autrichien, un ukrainien, deux français, je les félicite. On me remet ma médaille et je me rends à l’atelier gravure. Moment de grande émotion. Ma montre m’indique 2h57’56 ; mais quel est mon temps réel officiel ? L’opérateur saisit mon numéro de dossard sur son ordinateur, dépose la médaille sur sa machine, et comme pour la gravure de la coupe de la Champions League, en direct, en quelques instants magiques, le texte suivant s’inscrit sur la médaille, avec un halo de fumée :

MAHÉ, BENOIT

02:57:55

Je suis ému. Et là, 20 minutes après avoir franchi la ligne, dans la zone de vestiaire, je me mets à crier ; un cri intense, prolongé, sans pudeur. Les autres coureurs ne sont guère surpris ; ils sourient en connaissance de cause. Quel sensation unique, se sentir… comblé ! Convertir un rêve en réalité. Je retire mon sac, je récupère mon téléphone. J’appelle mes parents, attentifs; mon oncle Bernard, heureux et averti. Puis, je retourne sur la ligne d’arrivée, en spectateur cette fois-ci, pour assister à l’arrivée de ma femme. Au km37, l’App a marqué une projection d’arrivée à 4h04 ; après quelques minutes ; un camarade de club annonce sur WhatsApp qu’elle est déjà sur la dernière ligne droite pour passer, sous les 4h. 3h59 ! Incroyable ! Je pense que je suis encore plus heureux pour elle que pour moi. Admiration totale. Quel cadeau! Nous avons tous les deux pu accélérer au km37, et décrocher ces marques symboliques : sub4 et sub3.

Nous dégusterons la paella traditionnelle avec encore plus d’enthousiasme avec nos camarades de club.

 

Conclusions et enseignements

  • J’ai 51 ans et je suis dans la meilleure forme de ma vie.
  • Je viens de réaliser mon rêve, formulé 9 ans et demi plus tôt: courir un marathon en moins de 3h.
  • Je suis serein ; Je suis là où je dois être.
  • Je viens de réduire de 16 minutes mon record personnel de 2016 : 8,2 % en 5 ans. Je suis meilleur coureur à 51 ans qu’à 46 (et pourtant j’avais déjà tout donné à cette occasion).
  • L’expérience est une valeur, un facteur clé de l’équation. Et il me semble une insulte à l’intelligence que des professionnels dans la cinquantaine soient poussés vers la pré-retraite. J’espère bien être un meilleur coureur à 55 ans, meilleur professionnel… un homme meilleur. Je continue de m’entraîner, de recevoir des feedback, de prendre soin de moi.
  • Le plaisir de la récompense met en perspective les entraînements parfois difficiles, les soirs d’efforts. J’ai par exemple vécu une première partie de préparation peu gratifiante. Certains entraînements (entre les semaines -12 et -6), après une journée de travail, je n’ai pas pu les terminer. Il m’est arrivé plus d’une fois de finir dans un bar et rentrer à pied. J’ai craint de ne pas retrouver mon niveau. La régularité et la compétition vous ramènent finalement à votre niveau.
  • « Yes We can « ; « Just do it ». Ces 2 slogans d’Obama et de Nike résument le processus mental de génération d’une vision puissante qui ouvre la possibilité (Yes we can ; décrocher un record) concrétisée par un plan d’action concret et immédiat, une discipline et une hygiène d’entraînement (just do it, now. Mets tes chaussures, lis le plan et sors, quelque soit le temps); prise de conscience et prise d’action du coaching.
  • Bien sûr, notre métier de coaches professionnels, notre gestion de la PNL et de l’intelligence émotionnelle nous ont aidés à mettre les chances de réussite notre côté. Nous avons aussi été coachés par Chema, net entraineur, avec parfois ses recadrages (par exemple quand j’allais trop vite lors d’un exercice) ou cet abrazo (embrassade), inhabituel, lors du dernier entrainement  (« venga, dame un abrazo », « allez viens ici me faire une accolade). Et à ma question, le dernier entrainement:  « tu crois que je peux le faire ! », cette conviction sans équivoque : « mais bien sûr… si tu suis le plan, tu vas le faire ! »)
  • Je revalide mes 42P du succès en marathon et dans le business, écrits en 2016, et inclus dans mon livre « le vendeur connecté ».
  • « Seul, tu vas vite ; ensemble, nous allons loin » . Le soutien de mes collègues du club Miacum, l’exquise collaboration de ma femme avec sa détermination dans la discipline du gainage et de la nutrition, et avec sa propre vision audacieuse et puissante, l’aide du lièvre marathon et de ces 200 coureurs avec qui nous avons unis nos énergies pour mieux affronter le monstre du marathon, ensemble. L’esprit d’équipe, bien sûr. Team Spirit! (Et le télétravail ne peut pas détruire cette valeur fondamentale dans les entreprises. Au contraire, il faut le renforcer) Ensemble !
  • Les mathématiques rassurent : je suis venu exécuter un plan, délivrer un niveau que je connaissais mais que je n’avais pas encore démontré sur cette distance. Au marathon, comme dans les affaires, comme dans la vie, au final, l’équation peut se résumer à « expérience + entraînement + maths + tête ». Lorsque vous avez couru 2 semi-marathons en 1h23 ou 1h24, vous savez que vous avez une chance de passer sous les 3h dans un marathon ; c’est même une responsabilité. J’ai évalué cette probabilité de réussite à 33%. Ce n’est jamais sûr ; Car la course est imprévisible, mais si vous prenez soin au maximum des éléments qui sont entre vos mains, vous vous rapprochez des possibilités de réussite.
  • A une température de 99 degrés, l’eau ne bout pas ; mais à 100º, l’eau bout et met alors en mouvement de puissantes machines et systèmes. 3h01 n’aurait pas été un mauvais résultat, mais j’ai fait de mon mieux pour éviter ce temps, et je ne voulais pas non plus risquer un 2h59’59 hasardeux. J’ai fait l’effort supplémentaire, ainsi que ma femme, pour briser ces 2 marques symboliques, et ne pas rester à 99,9% de notre potentiel.

 

Le long de ce chemin, je vis les années, je vis l’amitié de partager cette passion, de courir avec d’autres amis. Je reste en forme, physiquement et mentalement, pour aborder d’autres aspects de ma vie, comme mon travail, ma famille. Les sorties longues du dimanche matin me permettent de me mettre en forme pour ma formation du lundi. L’entrainement du mardi soir me donne la pèche pour ma conférence du mercredi.

Merci beaucoup d’avoir lu ces réflexions, et d’être là pour m’accompagner sur le chemin.

Benoit Mahé

Coach PCC
Partner CapKelenn
Auteur de « Retail Coaching » et « vendeur connecté »
Marathonien… sub3

www.benoitmahe.com
www.capkelenn.com

 

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